Le milieu scolaire tunisien connaît, depuis plusieurs années, une amplification notable des actes de violence, lesquels prennent des formes multiples : agressions physiques, violences verbales, harcèlement, destructions, ainsi que consommation ou circulation de substances stupéfiantes à l’intérieur et aux abords des établissements éducatifs.
Cette montée inquiétante de la délinquance scolaire soulève inévitablement la question de la pertinence de l’arsenal juridique actuellement mobilisé pour protéger l’espace scolaire et ses acteurs.
La problématique peut ainsi être formulée comme suit :
Le droit pénal tunisien, fondé essentiellement sur des règles générales, est-il en mesure d’appréhender efficacement les violences en milieu scolaire, ou nécessite-t-il une adaptation spécifique tenant compte de la particularité de cet espace et de la qualité de ses usagers ?
I. Le recours exclusif au droit pénal commun : un cadre juridique généraliste et non adapté au milieu scolaire
1. L’absence d’un statut juridique spécifique de l’établissement scolaire.
Le législateur tunisien n’a, à ce jour, consacré aucune norme conférant à l’école une protection juridique particulière. L’établissement scolaire, bien que lieu sensible regroupant majoritairement des mineurs et des agents publics, demeure régi par les règles ordinaires applicables à toute partie du territoire national.
Ainsi, aucune circonstance aggravante automatique n’est prévue lorsque l’infraction est commise dans l’enceinte scolaire ou à ses abords immédiats, contrairement à ce que prévoient plusieurs législations étrangères.
2. L’application des règles générales du Code pénal aux violences scolaires
En l’absence de lois particulières, les atteintes commises dans le cadre scolaire sont appréhendées au moyen des dispositions de droit commun, notamment :
L’article 319 du Code pénal, réprimant les violences volontaires selon leur gravité ;
L’article 125 du Code pénal, sanctionnant l’outrage à un fonctionnaire public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions – disposition essentielle en cas d’agressions verbales ou menaces envers les enseignants ;
L’article 127 du Code pénal, qui incrimine les violences exercées contre un fonctionnaire public ;
Les dispositions de la législation sur les stupéfiants, applicables à la consommation, détention ou diffusion de drogues au sein des établissements.
Ces textes permettent, certes, la répression des comportements délictueux, mais ne consacrent aucun régime protecteur renforcé adapté à la particularité de la relation éducative.
3. Les limites du droit commun dans un espace doté d’une spécificité socio pédagogique
L’école constitue une microsociété au fonctionnement particulier, dans laquelle se rencontrent mineurs en formation, personnels pédagogiques investis de missions publiques, et parfois intervenants extérieurs.
L’absence de norme spécifique conduit à une lecture strictement pénale des actes commis, sans prise en compte des dimensions :
éducatives,
psychologiques,
institutionnelles,
et sécuritaires propres à l’environnement scolaire.
Ainsi, l’application du droit commun se révèle insuffisante et parfois inadaptée à la gravité du phénomène.
II. La nécessité d’un encadrement législatif spécifique : vers une protection renforcée de l’espace scolaire
1. Justification d’un régime pénal aggravé dans le milieu scolaire
La montée des violences impose au législateur de repenser le cadre normatif applicable à l’école. Plusieurs motifs plaident en faveur d’une intervention législative :
Protection renforcée des mineurs, particulièrement vulnérables ;
Protection fonctionnelle des enseignants, assimilés à des agents publics mais souvent exposés à des risques accrus ;
Caractère symbolique et stratégique de l’institution scolaire, socle de formation citoyenne et lieu d’apprentissage collectif ;
Rôle préventif du droit, qui doit accompagner la politique éducative.
L’absence d’un traitement juridique distinct revient à neutraliser la portée protectrice que le législateur pourrait reconnaître à l’école.
2. Vers l’introduction d’un « statut pénal de l’établissement scolaire»
Une réforme pourrait s’articuler autour de plusieurs axes :
Création d’une circonstance aggravante lorsqu’une infraction violente est commise dans un établissement scolaire ou en rapport direct avec la mission éducative ; Incrimination autonome de la violence ou du harcèlement scolaire, incluant la dimension psychologique et numérique (cyberharcèlement) ; Renforcement de la protection pénale de l’enseignant, à l’image de la protection fonctionnelle renforcée accordée aux agents de sécurité ou aux professionnels de santé ;
Encadrement pénal de la détention d’armes blanches ou d’objets dangereux dans les établissements scolaires ;
Régime spécial de prévention et d’accompagnement éducatif, conciliant sanction et réinsertion.
3. L’articulation entre droit pénal et politiques publiques de prévention
La seule réponse répressive est insuffisante. Une réforme devrait intégrer :des mécanismes d’alerte et de signalement ; des procédures internes de gestion des conflits ; des programmes obligatoires de prévention du harcèlement et de la violence ; une coordination institutionnelle entre Ministère de l’Éducation, Ministère de l’Intérieur et structures sociales.
En l’état actuel, le droit tunisien traite les violences scolaires comme de simples infractions ordinaires, soumises au droit commun. Cette approche, strictement pénaliste, se révèle inadaptée à la spécificité du milieu scolaire et à la gravité du phénomène observé.
Il apparaît dès lors nécessaire d’opérer une reconfiguration du cadre législatif, visant à reconnaître à l’espace scolaire un statut juridique renforcé, garantissant la protection des apprenants, du personnel éducatif et de la mission pédagogique elle-même.
La transition vers un cadre normatif spécialisé représente non seulement une exigence juridique, mais également un impératif social et éducatif pour endiguer un fléau menaçant l’équilibre du système scolaire tunisien.

